“En Indonésie, les offrandes Canang-sari sont de petits paniers en feuilles de palmier tressées garnis de fleurs, de nourriture, d’encens, de cigarettes et parfois même de billets de banque. Traditionnellement préparées par les femmes, elles sont déposées devant les portes des maisons, des magasins et temples. La confection de ces offrandes est un acte symbolique d’éternelle gratitude qui doit être réitéré chaque matin afin de remercier les dieux pour le maintien de la paix et de l’équilibre du monde.
À l’occasion d’un voyage, Fiona Crott photographie en gros plan les sacs-poubelles dans lesquels ont été jetés pêle-mêle restes de repas et offrandes de la veille. Plutôt habituée à l’univers maitrisé de son studio photo, l’artiste capture dans cette série de sept photographies la beauté banale d’une scène quotidienne dans les rues de Bali.
L’objectif est à quelques centimètres à peine de la surface des sacs. À l’intérieur, des fleurs fraîches aux tiges cassées, du riz, une paille rose, une coupelle en plastique. C’est un microcosme agité, pourrissant et coloré que l’on devine à travers la buée qui s’est formée sous l’effet de la chaleur.
Bouffée de désir ou suffocation, les déchets profanes et sacrés sont fondus en un même chaos sensuel. La membrane plastique devient alors cette peau imperméable et extensible, qui contient et comprime les formes, transforme les fleurs en couleurs pures et annule tout rapport d’échelle.
Mais ici, l’acte de photographier n’est pas seulement le résultat d’un plaisir intuitif. L’exacerbation des couleurs et l’attention portée à souligner la texture du plastique par le jeu de la lumière, confèrent à ces prises de vue une homogénéité troublante, quasi artificielle.
Ces photographies haptiques et jubilatoires nous parlent de l’éternel gâchis orchestré par nos sociétés contemporaines, mais aussi d’un féminin divin connecté à la nature et au monde, accomplissant un geste millénaire tourné vers les autres. Une lecture vaudou dans les poubelles du monde qui nous rappelle que l’équilibre cosmique est précaire et qu’il est un travail de chaque jour.”
Essai écrit par Marion Adrian.